Nouveau Monde sur le feu, Jonathan Personne répond avec générosité aux questions de Will Dum…
1. Après 4 albums, dont l’un tout proche, Jonathan Personne c’est quelqu’un ! Mais qui ? Qu’as-tu fait avant de jouer sous ce patronyme, et qu’est-ce qui t’a fait te lancer dans la musique ?
Je joue dans des groupes depuis que j’ai 13 ans. Ça a toujours été un truc qui gravitait autour, auquel moi et mes amis on s’adonnait après l’école. On a fait nos dents dans des projets plus punk, hardcore ou emo. C’était assez DIY, ça m’a guidé à ne pas trop percevoir la musique comme une carrière, mais plus comme un exutoire créatif et un milieu d’échange.
Mon truc à la base, c’était plutôt le dessin. Je suis d’ailleurs allé étudier en animation, dans ma jeune vingtaine, pour pouvoir en faire un métier. Je me suis rendu compte assez vite que c’était un milieu de burn-out et de rêves brisés.
En 2013, j’ai formé Corridor. J’imagine qu’il y avait quelque chose en moi d’inassouvi à force de travailler pour des studios de merde à faire de la saucisse. J’avais le goût d’aller plus loin qu’avant, de pousser les mélodies, de complexifier le playing, de fuck around avec la production lo-fi. J’avais commencé à écrire en Français, et ça me plaisait. À travers tout ça, j’ai voulu mettre à profit mes talents d’illustrateur en signant les clips et les pochettes. Ça m’a servi, et j’ai pu enfin quitter mon boulot qui me pourrissait la vie.
De plus en plus, prendre plus le contrôle de mes créations m’appelait. C’est ce qui m’a amené à faire un projet solo. Avec Jonathan Personne j’ai pu explorer le songwriting davantage, de même que les arrangements, l’échantillonnage et autres.
2. Quel regard portes-tu sur ce cheminement déjà conséquent ?
J’ai comme l’impression que plus ça va, plus j’ai le sentiment de m’affranchir créativement. C’est peut-être utopique de vouloir tout contrôler; malgré tout, j’ai l’impression que le moins il y a de capitaines à bord, le mieux je me porte et me rends à destination. J’ai commencé il y a quelques années à faire le pont, en commençant à apprendre comment m’enregistrer et mixer. Je n’en suis pas rendu là, mais le but serait éventuellement d’être capable de m’auto-produire. Je ne crache pas sur la collaboration, malgré tout, mais mon cercle de confiance se compte sur les doigts d’une main.
3. Existe-t-il un lien entre tes différents projets ?
Je compose et j’écris. Sinon dans les deux cas, j’ai toujours pris plaisir à m’occuper du graphisme et des visuels. J’ai toujours signé les pochettes, presque toujours les clips. Ça réunit mes 2 passions au sein d’un même projet, et chacune profite de l’autre.
4. L’un de tes nouveaux singles, “Zoé sur la montagne”, se base sur un air que tu chantais à ta fille encore bébé. Est-ce un hommage à l’enfance, à qu’elle véhicule, à sa forme d’insouciance ?
Sur l’album, il y a beaucoup de chansons qui traitent de perception. Avoir eu ma fille Zoé dans ma vie m’a ouvert les yeux par rapport à plein de choses oubliées. Disons que je vois désormais le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Je crois que ce petit être humain est incroyable.
5. Le second, nommé lui “Deuxième vie”, traite des rencontres inhérentes à notre parcours. Est-ce là le socle, où l’une des conditions, de ton avancée en tant qu’être ou encore de musicien ?
Il y a des gens que l’on rencontre, que l’on croit connaître depuis vraiment plus longtemps tellement la connexion est forte. Dans le cas de ma copine, on pourrait quasiment croire qu’on se connaît d’une autre vie. Je ne sais pas d’où ça vient…je ne pourrais pas dire également si c’est plus spirituel, télépathique ou finalement, une certaine forme d’intelligence émotionnelle avancée…
On aborde beaucoup le renouveau sur l’album. D’abord par le titre, Nouveau monde, mais aussi par la démarche de l’enregistrement (réutilisation et assemblage de vieilles idées/ face B inachevées). Deuxième vie s’ajoutait bien au lexique.
6. Comment ton prochain album, Nouveau Monde, a t-il été travaillé ?
De façon très éparpillée. Sur 3-4 périodes, dans 3 studios, 3 appartements et un chalet. En fait, l’idée était de réunir des pièces qui n’ont pas réussi à se tailler une place sur les albums précédents, de soit les ré-enregistrer ou les retravailler, et en d’en faire un tout beaucoup plus digeste et cohérent qu’une simple compilation de faces B. Je l’appelle affectueusement mon « petit bac à recyclage ». À ce moment, je venais de terminer l’enregistrement de Mimi, avec Corridor, qui avait été long et ardu. J’avais envie de travailler sur un album sans me prendre la tête avec un concept, et de plutôt en comprendre le sens au fur et à mesure que j’avançais.
7. Pourquoi, d’ailleurs, Nouveau Monde ? Que nous dit sa pochette, qui m’a tout l’air de claironner la survenue d’une nouvelle ère…ou de sonner le glas de celle en cours, ou encore de nos espoirs d’un mieux-être ?
Oui, ça fait effectivement allusion au fait que nous entrons dans une nouvelle ère. C’est à la fois un terme très ancien et archaïque pour désigner le continent actuel. Une période de grands changements avec des sauts à la fois gigantesques dans le futur que d’immenses retours dans le passé. Voilà pourquoi sur la pochette, on retrouve la mort en messager d’une autre époque prêt à dérouler son parchemin. Avec l’actualité récente de la dernière année, tout prend de plus en plus son sens. Le titre reflète aussi cette nouvelle vie que j’ai donnée à mes chansons. Nouveau Monde, c’est aussi le plus vieux morceau sur l’album. Ça change de Fin du Monde qu’on entend beaucoup trop. Espoir……oui…un peu malgré tout! On est vraiment dans la merde, mais j’ai espoir qu’on va se construire un radeau pour au moins flotter au-dessus. C’est optimiste à sa façon, probablement moins cynique que les albums précédents. Ma fille me donne espoir, sinon.
Pochette « Nouveau Monde »
8. La structure façon « mixtape » de Nouveau Monde fait écho à celle de disques estampillés ‘90s, comme Check Your Head des Beastie Boys ou encore les premiers Beck. En quoi t’ont-ils influencé ?
J’ai grandi dans les 90’s, il y a cette période ou je me faisais mes propres mixtapes en écoutant la radio ou en dubbant des cassettes louées à la bibliothèque. Plus tard dans les 00’s, c’était des compilations gravées sur CDR. C’est aussi deux décennies en musique ou l’on a commencé à décomplexer le croisement des genres. Je nommais Check your Head ou Odelay, c’est des albums qui m’ont quand même marqué lorsque j’étais adolescent. Si je réécoute Check Your Head, il y a un morceau hardcore suivi d’une pièce dub intrumentale, d’un skit de sampling, d’une pièce plus rap classique, une autre plus rock puis de spoken word. Avec mon dernier album, vu que les chansons proviennent de différentes époques, j’ai choisi de vraiment assumer cet aspect-là. Au final, il y a pleins d’autres éléments pour ramener et ficeler tout ensemble; la voix, l’écriture, les arrangements et la production.
Photos Antoine Giroux